samedi 19 février 2022

"LA NAVASE: UNE POMME DE DISCORDE"

        


             Ce matin-là, je me suis réveillé, très préoccupé et même inquiet, par le ronflement de trois hélicoptères sillonant pendant plus d'une heure, à  très basse altitude, le ciel de la petite ville de Dame-Marie.
Ce vacarme au-dessus de nos têtes a mis la ville sens dessus dessous (tet anba). Un véritable émoi!
A l'époque, ces faits insolites affectaient les communautés et laissaient présager des moments troublants. Eventuellement, la présence d'intrus dans la région. Un très mauvais signe pour la population! 

A travers un regard tout se disait et sur les visages tout se lisait; et les questions qui fusaient à voix basse parmi les plus intimes restaient sans réponse ni explication logique quant à la nature d'un événement quelconque. 
On était en proie à de pures suppositions qui n'étaient pas, à la vérité, agréables!
En tous cas, on concluait 24 heures plus tard qu'il y avait plus de peur que de mal. Pas de nouvelles bonnes nouvelles!

Ce n'est que longtemps après, de la plume de Jn Robert Gaillard, que j'ai su la vérité sur ce fait bizarre auquel j'ai assisté dans le ciel de mon patelin.
En effet, un club de radio amateur (ham radio club) avait programmé entre certains de ses membres une expédition à l'ile de la Navase, ile située à 65 km de Dame-Marie entre la Jamaique et Haiti.
Le groupe, dans un premier temps, voulait se rendre à l'ile par bateau, mais vu les risques que comporte une pareille traversée, ils ont du abandonner l'initiave.Très Sage décision!
Apres maintes réflexions sur les moyens pour arriver làbas, ils ont finalement décidé de s'adresser au Président Jn Claude Duvaler pour la logistique, consistant particulièrement au fournissement de 2 hélicoptères pouvant aisément les transporter.
Jn Bernard Montes, petit frère de Jeannot, transmit la demande au chef de l'Etat. D'une rare célérité, la reponse vint le 26 juin 1981; et, elle était favorable!
Instructions furent alors passées au Colonel Danache, commandant du Corps d'aviation, pour les suites nécessaires. 
Le petit groupe, composé de Jn Bernard Montes, Jn Robert Gaillard, S.G. Daniel et de Francis Michel, se retrouvait le 9 juillet à bord de "La Republique d'Haiti" appartenant à l'Etat Haitien, suivi de 2 autres appareils militaires haitiens, avec tout le materiel indispensable pour un camping: génératrice, nourrriture, radio, batteries, tentes etc...

Après une brêve escale aux Irois, question de refaire le plein, les oiseaux métalliques reprennent leur envol pour la Navase. Grande fut leur surprise de constater qu'un comité hostile les attendait.

En effet, des appareils militaires américains firent leurs apparitions et tournerent autour d'eux avec leurs armes braquées. Ce fut un moment de panique puisqu'ils (nos compatriotes) ne s'y attendaient point.
Ils ont planté dans l'immédiat un mât de fortune, hissé le bicolore et chanté la Dessalinienne. 
C'est alors qu'un des hélicos américains atterrit et le Commandant du détachement étoilé suivi de 3 marines se dirigèrent vers nos compatriotes, l'air menaçant.
Alors le Major Haitien qui était en charge de l'expédition, après avoir décliné son nom et grade, prit le dessus sur l'officier américain, inférieur en grade, qui se tint droit au salut à  l'endroit de son supérieur hiérarchique. Normes militaires internationales obligent!
Au final, il demanda aux Haitiens de montrer patte blanche; ces derniers de repondre à l'unisson: "nous n'avons pas besoin d'autorisation pour vaquer sur notre territoire!"
Sur ce, l'officier américain, l'air contrarié et après un moment de forte tension, leur souhaita un bon séjour et repartit. Idem pour les autorités haitiennes, laisant le petit groupe dérriere.

La Navase, un atoll, se trouve dans moins de 200 mille marins de la Zone Economique Exclusive (ZEE) des cotes haitiennes, donc dans les eaux haitiennes, mais elle est revendiquée par les USA suite à une loi du Congrès Américain, "The Guano Act", stipulant: "Partout où se trouve en Amérique (latine) une ile inhabitée et qu'existe le fertilisant dénommé Guano, du nom de l'oiseau (chauve-souris), cet espace devient automatiquement leur propriété et est sujet à  exploitation".
C'est ainsi que Peter Duncan en profita et s'y installa. 

Nos compatriotes, à l'aide de leurs Ham Radio à  bande courte (short wave) annoncerent au monde entier qu'ils étaient sur l'ile et en reprirent possession. Plus de 7000 appels environ furent placés à divers clubs internationaux de radio amateurs durant 72 heures. 

A côté d'eux, à  quelques jets de pierre, se trouvait un camp de marines, entre temps debarqués, au nombre d'une centaine (119) surveillant les allées et venues de nos compatriotes. 
L'échange devint cordial, apparemment, au fil des jours jusqu'à leur départ de l'île. et pour preuve, en 2 occasions, ils ont cassé la croute ensemble, tour à tour, dans leurs bivouacs respectifs.

J'allais vingt ans plus tard revivre une pareille expérience avec l'expédition de E. Wilson qui voulait planter le drapeau haitien sur l'ile et lire simultanement une déclaration devant les caméras de la Presse locale. 
La démarche n'a pas abouti malgré la velléité du groupe composé d'une journaliste de renom ( M. L. Bonhomme) et de plusiers autres officiels dont le Senateur S. Madistin.

Tôt le matin, ils ont mis voile en direction de l'ile grace à  l'amabilité de Tony Simon qui leur prêta son bateau "le Goliath".  
Vu l'instabilité du bateau face aux géantes vagues aux abords du massif corallien, ils ont du rebrousser chemin pour la terre ferme car plusieurs d'entre eux n'avaient pas le pied marin. 
Et depuis, aucune autre tentative ne fut recensée, à ma connaissance.

Suite aux incursions haïtiennes pre-citées, les Américains ont renforcé leur présence depuis autour et sur l'atoll.
Seuls les pêcheurs haïtiens de Dame-Marie, de l'Anse d'Hainault et des Irois continuent à faire la navette sur l'île quand les conditions atmosphériques le permettent.

On se souviendra de vous, chers compatriotes, d'avoir écrit cette page d'histoire en affrontant l'imprévisible, les impondérables et l'oncle, grâce à vos convictions.

Pressoir M Antoine 
Février 2015


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