samedi 19 février 2022

Adiós Viejo Mío!

      



Autrefois, à l’occasion des grandes vacances d'été, de nombreux écoliers (garçons et filles) quittaient la Capitale et regagnaient joyeusement leurs communautés respectives en vue de revoir parents, proches, intimes, amis et petits amis. 
Bref, toute la panoplie affective.

Et, dans ce même régistre, certains jeunes Port-au-Princiens, invités par des camarades ou des proches, profitaient de la période estivale pour découvrir pareillement un coin du pays aussi loin qu'il soit. 
Généralement, un endroit de renom, largement repandu et caractérisé par un panorama naturel, pittoresque et enchanteur.

Rompant avec la pratique citadine, j'ai été amené, à mon tour, par mon Père dans le "distant département " de la Grande Anse au cours de l'été 1961, à rencontrer mes Grand-Parents, maternels et paternels. 
Ce fut alors une grande première, une heureuse et inédite opportunité de satisfaire ma curiosité d'enfant, qui était: de découvrir la Région où mes Grand-Parents sont nés et ont vécu, où mes Parents sont nés à leur tour et ont grandi, et finalement,52 lier connaissance avec mes oncles Jérémiens ainsi qu'avec ceux de Dame-Marie (oncle et tante).

Du petit aéroport #2 de Jérémie, on s'était rendu en ville chez mon Grand-Père maternel,  Clervain Hilaire, ce mémorable jeudi de juillet. 
Au bruit du véhicule, ostensiblement euphorique et excité, il s'est précipité au-dehors pour nous accueillir, et sur le perron j'ai embrassé Grand Père. 
Lui, tout sourire, me caressa affectueusement les cheveux et nous invita ensuite à pénétrer: mon père et moi, suivis du chauffeur et du gardien qui nous ont rejoint venant de Dame-Marie

Soudain, j'ai ressenti un léger frisson, simplement émotionnel, probablement de bonheur, en foulant à nouveau ce lieu qui m'a vu naître environ 14 ans auparavant, un 4 Mars.
J’allais être davantage transporté, en écoutant Grand-Père nous narrer un peu plus tard, au salon, le déroulement un peu dramatique de ma venue au monde à laquelle il a assistée, ce jour-là. 
En quelques minutes, j'ai su mes premiers instants sur terre!

Après avoir célèbré, comme il se doit, cette merveilleuse réunion pendant une partie de la journée, dans l'allégresse la plus totale, on prit la route dans l'après-midi vers Dame-Marie,  essayant toutefois de refouler difficilement des larmes que toute séparation naturellement et manifestement provoque entre des intimes ou des proches.

On était arrivé à Dame-Marie à la tombée de la nuit après avoir au préalable longé la rivière Grand'Anse, gravi les pentes de Julie et de Montagnac
A partir de Desormeaux, celà semblait être une éternité, du fait du mauvais état de ce tronçon de 7km, malgré la Jeep Willys où on était à l’étroit, à cause aussi des bagages.

Pour atteindre le Paradis, il faut traverser l'enfer, disent certains!

C'est là que j'allais faire la connaissance de Pressoir Antoine, mon Grand-Père paternel qui, contrairement à moi, était un Géant. 
Ô combien il était heureux!

Après un repas princier preparé par les doigts magiques de sa compagne, Catherine, nous nous installames sur la terrasse. Un ciel tapissé d'étoiles sur nos têtes!
Lui dans sa chaise berçante (dodine) et moi dans un fauteuil de fabrication locale mais confortable. C'était l'une des plus belles soirées de juillet.
C'était extraordinaire! C'était sublime! C'était poetique!

D'entrée de jeu, il me questionna sur la santé de maman, les nouvelles de mon frère et de mes soeurs,  sur mon travail à l'école, les nouvelles de ma petite amie, bien entendu allusivement, mais, ignorant toutefois que j’en avais plusieurs. Et oui, les amours platoniques de l'époque, n’est-ce pas!

Au cours de la conversation, j'osais lui demander, sans vouloir pourtant être irrespectueux, combien de fois il a visité Port-au-Prince et lui de me répondre calmement:
- En deux occasions mais, j’ai visité La Havane à plusieurs reprises. Visites médicales et de loisirs.
Et de poursuivre avec une note de fierté et d'orgueil dans la voix:
- Je me sens bien ici et ne regrette rien mais... (encore ce têtu mais) j'ai toujours rêvé de voir la réalisation d'une route nationale qui nous relierait aisement à la Grande Métropole, Port-au-Prince.

C'est alors que j'ai compris, adolescent que j'étais, le grand rêve de tous les Grand'Anselais, toutes générations confondues. 

Oyez Grand-Père, la génération de ton fils, mon Père,  ne l'a pas connue et la mienne, peut-être. Celle de mes enfants, absolument oui. 
Hélas, comme dit souvent mon ami Frantz : Sa ka la ka wel!

Afin de m'impregner du paysage, les jours suivants furent consacrés à des excursions en montagne, à la chasse dans les bois, aux visites des faubourgs, des habitations et des champs cacaoyers. A la dégustation de délicieux plats de langoustes, de poissons et de lambis boucanés, épicés et pimentés à la sauce locale. A écouter le soir des histoires à faire rêver débiter par mes nouveaux et jeunes camarades. A apprendre à nager et à pêcher à la ligne.
Autant d'activités qui ont marqué mon enfance durant ces vacances et dont je ressens encore un fort sentiment de douce mélancolie. Autrement, pour moi, c’est un bonheur d'être triste en revivant ces souvenirs!

Le jour du retour, en guise d'adieux, Il m'a longuement serré dans ses bras essayant peut-être de m'insuffler un souffle, un souffle nouveau... Qui sait?
Il m'exhortait d'être fort face aux aléas de la vie. 
De prier sans cesse.
Il était fatigué et épuisé!

Je ne sais pas si ses yeux étaient mouillés mais, je revois encore son bras tremblant entrain de battre l'air jusqu'au tournant. 
Il avait sans ambages et sans détour fait son choix, de finir ses jours dans ce bled aux confins du Sud-Ouest. Ainsi sera-il!

Depuis ce séjour-là, je n’allais plus revoir Papa Presse. Et de fait, le destin allait porter mes pas vers d'autres rives et les siens vers la tombe, cramponné à son patelin, comme il le désirait. Ainsi soit-il!

Au terme de ce récit, sachez bien Grand-Père que je suis fier d'être prénommé comme toi "PRESSOIR ". Évidemment, un nom qui m'identifie partout, tant dans les chaumières comme dans les palais,  dans des endroits dont, peut-être, tu rêvais. 

Adiós Viejo Mío!

P M Antoine
4 mars 2017




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire